© Jean Louis CHATELAIN
     
     
V   Varsovie
   
   
   
«  Moi en tant qu’avion,
j’appartenais au siècle des traductions en choses,
 le siècle le plus réaliste qu’on ait jamais vu,
 un siècle qui solidifiait l’imagination en objets
(et qui plus tard, en se dépassant lui-même,
 deviendrait le siècle de la disparition des choses, remplacées par leur image) »

Daniele Del Guidice in « Quand l’ombre se détache du sol »
   
   

L’aviation, c’est un peu comme toute manifestation de vie. Elle commence par une naissance.

   
   
   
« Tous les enfants sont pré-Coperniciens,
puis découvrent que rien n’est stable,
que les continents dérivent, que l’univers est en expansion,
 que tout se dérobe »
Patrick Deville in « Taba-Taba »
   
     
     
   
     
   

Et puis il faut assez peu de temps pour que le besoin de vaccination de l’enfant se fasse connaître.


Les premiers vols de « plus lourds que l’air » motorisés furent réalisés sur la grève de l’océan Atlantique, à Kitty Hawk en Caroline du Nord, par les frères Wright, Orville et Wilbur, géniaux fabricants de bicyclettes.


Il s’agissait alors plutôt de sauts de puce, mais ils avaient prouvé que c’était possible et pilotable.

C’était en décembre 1903. Ils firent une ou deux expériences en 1904 lesquelles confirmèrent leur réussite, mais furent presqu’aussitôt ignorés par tous et pendant un certain temps.

Les vrais débuts de l’aviation se situent en Europe (cf. chapitre « pilotes et pilotage »), avec la participation des frères Wright eux-mêmes: Premier vol en circuit fermé de Maurice Farman en 1908, exploit de la traversée de la Manche par Blériot en 1909, de la traversée des Alpes par Chavez en 1910, fêtes aériennes qui rassemblaient des foules et où les élégantes venaient se faire voir.

 
 
   

la traversée des Alpes par Chavez en 1910, fêtes aériennes qui rassemblaient des foules et où les élégantes venaient se faire voir.
Comme il en va souvent dans l’histoire de l’humanité, c’est la guerre qui fait avancer la technique de manière spectaculaire. Au sortir de la première guerre mondiale des milliers d’avions avaient été fabriqués et se retrouvaient cloués au sol, devenus inutiles.
Il a suffi de quelques entrepreneurs pour concevoir le transport aérien, de la poste dans un premier temps, puis de passagers.

   

En mars 1919 Pierre-Georges Latécoère défrichait l’exploitation des lignes aériennes du même nom, par un vol inaugural de Toulouse à Barcelone, puis une liaison de Toulouse à Rabat. Il y apporta le journal « Le Temps » de Paris, daté de la veille du départ, et des violettes de Toulouse pour Madame la Maréchale. Le Général Lyautey, gouverneur du Maroc et convaincu par cette expérience. Une convention postale fut signée le 10 mars 1919 avec les Postes Marocaines, pour l’acheminement du courrier entre la France et Rabat. Le courrier aérien était né. Fin 1919, 9124 lettres avaient été acheminées du Maroc vers la France.

   

De manière presque synchrone le courrier postal était né aux Etats-Unis d’Amérique, en mai 1918, sur le parcours Washington Philadelphie New York.


Charles Lindbergh fut un des premiers pilotes à assurer ce service postal. Cela lui valut d’évacuer l’avion en parachute par deux fois, dont une de nuit !


De hardis passagers commencèrent à embarquer sur ces esquifs aéronautiques. Le transport aérien était né.

 

 
   

On volait à vue, par toutes saisons et tous les temps. Le temps moyen de fonctionnement d’un moteur avant panne était de l’ordre de cent à cent‑vingt heures. De sort que pour aller de Toulouse à Dakar avec la ligne il était presque certain qu’on eut la panne du moteur… Et on volait sur un monomoteur !!!
Les accidents furent fréquents et on commença à déplorer et compter les morts.
Les coûts d’exploitation de ces lignes étaient dissuasifs et le système ne pouvait fonctionner qu’avec des subsides de l’Etat.
Il fallut inventer le contrat de transport par air, car, la responsabilité du transporteur, si elle n’était pas limitée, aurait immanquablement conduit à la faillite du système à cause des accidents et aurait tué dans l’œuf le transport aérien naissant.
Pour le transport international, une première convention entre Etats, la convention de Paris, fut signée en 1924, bientôt suivie en 1929 par une convention plus élaborée, la convention de Varsovie. Les Français en ont été des acteurs majeurs.
Cette convention posait le principe de la responsabilité du transporteur par une obligation de résultat. Mais, elle limitait de manière drastique le plafond d’indemnisation, sauf en cas de faute inexcusable d’un préposé du transporteur.
L’article 25 de la convention stipule en effet : « Les limites de responsabilité prévues à l’article 22 ne s’appliquent pas s’il est prouvé que le dommage résulte d’un acte ou d’une omission du transporteur ou de ses préposés fait, soit avec l’intention de provoquer un dommage, soit témérairement et avec conscience qu’un dommage en résultera probablement, pour autant que, dans le cas d’un acte ou d’une omission de préposés, la preuve soit également apportée que ceux-ci ont agi dans l’exercice de leurs fonctions ».
La charge de la preuve revient donc dans ce cas aux victimes ou à leurs représentants.
Les indemnisations des victimes s’avérant assez vite insuffisantes au regard des dommages subis, il s’en est suivie des années de litiges devant les tribunaux, après chaque accident, dans une tentative des représentants des victimes de faire reconnaître la faute inexcusable du préposé.
Vous avez besoin d’un préposé ayant commis une faute inexcusable ? Aller donc me chercher le pilote !... Qui le plus souvent n’a pas survécu lui-même à l’accident !
Il ne faut donc pas s’étonner si de tous temps, et encore aujourd’hui, on cherche, devant les tribunaux, à prouver la faute du pilote. Cela n’est pas très difficile de trouver un écart à la norme écrite, celle-ci étant devenue extrêmement complexe. On trouve toujours quelque chose, quelque manquement, que les avocats sauront amplifier pour aller chercher l’argent compensatoire là où il se trouve, c’est-à-dire chez le transporteur. Ce quelque chose, sorti du contexte et du système aéronautique dans toutes ses composantes, que sont la formation du pilote, les consignes opérationnelles, l’environnement réglementaire, météorologique, le système de circulation aérienne, la planification des vols, la fatigue, la culture d’entreprise, la conception de l’avion, son entretien etc. pourra souvent paraître aberrant. On alimente ainsi facilement la statistique qui conclut que soixante‑dix pour cents des accidents sont dus à l’erreur humaine… Sous-entendue, l’erreur du pilote.
En fait, si l’on s’intéresse au système dans sa globalité, c’est cent pour cent d’erreur humaine que l’on y trouve ! Et c’est sur ce terrain-là que la justice ira chercher la faute pénale de tel ou tel acteur du système, car la société aujourd’hui a besoin d’expiation.
Seule l’enquête de l’aviation civile s’applique, conformément à la norme internationale, à situer l’accident dans le contexte systémique, en reconstruisant la chaîne d’événements conduisant à la catastrophe, et en analysant les failles des différentes barrières de protection installées dans et par le système socio-technique.
J’ai été enquêteur moi-même pour au moins deux enquêtes sur accidents majeurs pour lesquelles j’avais été commis par le ministre des transports : Celle du Mont Sainte‑Odile et celle de l’accident du Concorde. Elles m’ont mobilisé, chacune pendant une année entière, pour analyser finement, avec les différents experts du bureau d’enquête et d’analyse (BEA) une séquence accidentogène ne durant guère plus d’une minute !
Il m’est ainsi permis d’affirmer au moins deux choses. D’abord, la très lente dynamique de l’enquête est à mettre en perspective avec la fulgurante dynamique du vol… Un an pour une minute ! Le pilote et l’équipage doivent faire face à cette dynamique. Et deuxièmement, à chaque fois, la compréhension initiale de l’accident fut modifiée au fil des mois d’enquête par une véritable compréhension plus profonde.
Il ne faut jamais oublier, dans un accident d’avion, que le pilote est otage de ses propres actes et décisions, et, tout simplement, qu’au-delà de la conscience qu’il a de ses responsabilités vis-à-vis des passagers de de l’équipage, il n’a évidemment pas envie de se casser la figure.
Et en tant que pilote, je ne peux que souscrire à cet adage extrêmement sarcastique et cynique :
« En général, le pilote est le premier à arriver sur les lieux de l’accident »

 
   

« Accident, the only law of life»
Irwin Shaw in “The young lions”


« L’erreur était la spécialité du pilote, ta discipline, ta matière.
 S’il y avait une compétence du pilote,
 c’était la compétence de l’erreur »
Daniele Del Guidice in « Quand l’ombre se détache du sol »

La Clusaz, 25 mars 2020
Jour 8 du confinement

     
   

© Jean Louis Chatelain

     

V   Vents
   
    Le pilote, à l’instar du marin, se préoccupe des vents. Du temps de la marine à voile, on se souhaitait « bon vent ! ». Car ce n’était pas rien que l’influence du vent.

Le marin qui revenait des campagnes de pêche sur les bancs de Terre-Neuve se trouvait marri lorsque, approchant de son port d’attache, il subissait des vents contraires. Le bonheur de retrouver son foyer pouvait être reporté d’une semaine !…Histoire véridique qui m’a été racontée par le dernier gardien du phare de l’île d’Yeu, qui avait été mousse sur un Terre-neuva.

La marine marchande à voile recherchait les vents alizés, bien établis et favorables pour faire route vers l’ouest sous les latitudes intertropicales.
     
    Pour le pilote, vent de face ou vent arrière, à l’altitude de croisière, fait toute la différence pour ce qui est de l’emport du carburant. Car on emporte le carburant nécessaire à réaliser le vol, et il est calculé pour une réalisation du vol en toute sécurité mais pour autant de manière économique (tout emport supplémentaire affecte l’économie du vol). Sur certains parcours long-courriers, l’emport du carburant pouvant être limité par la capacité des réservoirs ou par la charge marchande, un fort vent de face peut compromettre la réalisation d’un vol direct, et rendre nécessaire une escale technique pour ravitaillement en carburant.
Les avions d’aujourd’hui sont de plus en plus performants, mais à l’époque des premiers jets long-courriers, réaliser par exemple le vol direct entre Paris et Los Angeles n’était pas garanti. Il était fréquent de faire escale technique, à Great Falls (Idaho), à Salt Lake city (Utah), à Edmonton (province de l’Alberta), autant d’escales que votre serviteur a découvertes, le temps d’un ravitaillement en kérosène. On peut rencontrer des vents d’une force à peine croyable dans les courants jets (jet streams, cf plus haut dans le dictionnaire, où je relate avoir connu un vent favorable de 235 kt, c’est-à-dire 435 km/h).

Le vent, c’est la masse d’air qui se déplace, et l’avion qui vole dans la masse d’air en subira son déplacement.

On cherchera à contourner les vents contraires (cas des vols vers l'ouest sur l’Atlantique Nord) ou à tirer avantage des vents favorables (retours vers l’est). Ce faisant on s’écartera souvent de la route la plus courte sur la sphère terrestre, c’est-à-dire l’arc de grand cercle (ou orthodromie).
     
    Le vent, c’est aussi, bien sûr, le vent au sol.

Les phénomènes venteux significatifs ont leurs noms vernaculaires, d’Europe, d’Amérique, d’Asie, d’Afrique: Vent d’Autan, Mistral, Bise, Tramontane, Foehn, Ponant, Harmattan, Libeccio, Simoun, Sirocco, Joran, Khamsin, Gharbi, Chargui, Williwaw, Chinook, Pampero, Mousson, etc.

Le pilote va devoir composer avec ces vents au sol pour les manœuvres de décollage et d’atterrissage. Pour limiter les distances nécessaires (au décollage ou à l’atterrissage) on se présentera toujours sur la piste qui offre un vent de face. Si le vent est faible et dans une certaine tolérance (de 10 noeuds, c’est-à-dire 18 km/h) on pourra s’autoriser à manœuvrer avec du vent arrière. Mais trop de vent arrière devient dangereux, sans parler de l’usure des freins et des pneumatiques.
     
    Le vent, c’est aussi, bien sûr, le vent au sol.

Les phénomènes venteux significatifs ont leurs noms vernaculaires, d’Europe, d’Amérique, d’Asie, d’Afrique: Vent d’Autan, Mistral, Bise, Tramontane, Foehn, Ponant, Harmattan, Libeccio, Simoun, Sirocco, Joran, Khamsin, Gharbi, Chargui, Williwaw, Chinook, Pampero, Mousson, etc.

Le pilote va devoir composer avec ces vents au sol pour les manœuvres de décollage et d’atterrissage. Pour limiter les distances nécessaires (au décollage ou à l’atterrissage) on se présentera toujours sur la piste qui offre un vent de face. Si le vent est faible et dans une certaine tolérance (de 10 noeuds, c’est-à-dire 18 km/h) on pourra s’autoriser à manœuvrer avec du vent arrière. Mais trop de vent arrière devient dangereux, sans parler de l’usure des freins et des pneumatiques.
     
   
     
    Bien entendu, les avions ont des capacités au vent de travers qui sont limitées. Les pilotes d’essai démontrent ces capacités pour chaque type d’avion, et déterminent ainsi un vent de travers maximum démontré.

Pour ce faire les pilotes d’Airbus vont en général en Islande, car les vents au sol y sont très forts et l’aéroport de Keflavik est équipé de deux pistes à 90° l’une de l’autre, ce qui garantit de pourvoir manœuvrer vent de travers. J’ai eu le privilège et l’honneur de participer à un vol de certification opérationnelle de l’Airbus A380 sur la piste de Keflavik. L’administration Américaine (FAA) était alors réticente à autoriser l’utilisation de pistes de 45 mètres de large pour cet avion de 80 mètres d’envergure (les ailes débordent largement de chaque côté d’une telle piste, et même les moteurs extérieurs ne sont plus au-dessus de la piste), et Airbus a dû monter un dossier prouvant la capacité des pilotes de ligne à poser cet avion avec suffisamment de précision sur l’axe de piste pour que l’atterrissage sur ces pistes de 45 mètres de large ne se fasse pas avec une réduction inacceptable des marges latérales.

Les pilotes de lignes ne doivent pas entreprendre un atterrissage si la force du vent est supérieure à cette valeur maximale de vent de travers démontrée. Mais il arrive que l’on se fasse piéger. Ainsi j’ai le souvenir d’un retour d’Asie, de nuit, en vol cargo, à destination du Golfe Persique, sur un Boeing 747. Alors que rien dans le dossier météo ne l’avait pas laissé prévoir, tous les aéroports du Golfe (Abu Dhabi, Dubaï, Sharjah, Al Fujaïrah, Dharan, Bahreïn) se sont trouvés pris dans les vents de sable au moment de notre arrivée.

Nous n’avions plus le choix, il fallait y aller !

Nous avons réussi à poser l’avion avec 40 kt de vent de travers, ce qui était au-dessus de la valeur démontrée, mais dans les capacités des commandes de vol de ce type d’avion (nous en avons fait la preuve, mais nous avons mouillé la chemise ! En approche finale, nous étions tellement en crabe que je voyais la piste à travers le pare-brise de l’autre pilote…).

Les vents de sable sont un de ces phénomènes météo qu’il n’est pas agréable de rencontrer, il n’est pas non plus sans danger. Les vents associés sont souvent très forts (cf. ci-dessus). L’air devient irrespirable, et les objets se chargent d’électricité statique. Je me souviens de mes séjours comme pilote dans le Sud Algérien, lors de mon service national en coopération technique. Le premier d’entre nous qui touchait l’avion après un vent de sable était sûr de prendre une sérieuse décharge électrique ! Les mécanos étaient extrêmement prudents lors des opérations de plein d’essence, car la volatilité de l’essence exposait au risque d’inflammation spontanée en cas de décharge électrique.

Les forts vents au sol ont aussi une autre conséquence désagréable : La turbulence. Dans les basses couches un vent fort frotte le relief et crée des remous (et même des rotors sous le vent de reliefs importants). L’atterrissage à Marseille par vent de mistral laisse des souvenirs à quiconque a pu le connaître, pilote ou passager !

A haute altitude les vents forts épousent le relief sous la forme d’ondes orographiques. Les planeurs en tirent avantage pour gagner de l’altitude, en volant sur la partie montante de l’onde. Les avions de ligne à vitesse de croisière en subissent les conséquences en termes de turbulence.
     
    C’est un phénomène qui est très marqué et redouté sur la Cordillère des Andes lors de l’hiver Austral. On peut, par ciel clair, y rencontrer de très fortes turbulences. Le trajet entre Buenos Aires et Santiago du Chili peut être mémorable et l’on ne peut qu’admirer le courage et la ténacité des pilotes pionniers de l’Aéropostale qui, tous les jours, pour que la ligne « passe », affrontaient ces climats perdus. Leurs avions n’avaient pas la puissance pour grimper suffisamment haut et franchir le relief. Alors ils se servaient de l’ascendance au vent du relief… Au prix de l’inexorable descendance sous le vent.

C’est ainsi qu’Henri Guillaumet se trouva piégé près du volcan Maïpo, à l’ouest de la Pampa d’Argentine, à la frontière du Chili, où il connut son heure de gloire.

Ainsi va la vie, on peut passer du bon vent au vent mauvais.
     
 
     
 
 
 
 
     
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