Cette citation d’Antoine de St Exupéry dans Pilote de guerre, me permet de prendre la parole avec précaution, car je sais que mon père ne le souhaitait pas. Mais je sais que les plus jeunes d’entre vous et en particulier tous ses petits-enfants, ont été fascinés par les différents épisodes de sa vie, il fallait en dire quelques mots.

Allez donc leur expliquer à ces jeunes ce que pouvait être un modeste bourg comme Port-Saïd au fin fond de l’Egypte, en 1924, la rigueur d’un internat chez les Jésuites, au Caire, la guerre, et lorsque l’on a 17 ans la rencontre avec le Général de Gaulle qui l’amène à rejoindre les rangs de la France libre.

Son engagement n’a rien d’étonnant à la lecture de toutes les médailles de guerre qui ont honoré sa mère, Paule Bertin pendant les différents conflits, pour son dévouement à soigner les victimes de guerre.

Comment décrire à ces jeunes, habitués à monter dans un Airbus depuis leur plus jeune âge, cette incroyable aventure de l’aviation qui en était à ses débuts, lorsque mon père part en 1942 dans l’aéronavale aux Etats-Unis de Corpus Christi à Memphis pour se former comme pilote de chasse. Il fallait du courage pour voler dans ces biplans qui semblaient si fragiles. D’ailleurs son album photo de l’époque témoigne des nombreux camarades disparus dans de simples crash aériens.

En 1947, le monde panse ses plaies, l’aviation commerciale se construit difficilement. En attendant de trouver une place de pilote; il retourne travailler en Egypte au Canal de Suez, pour finalement en 1952 entrer à Air France.

Il continuera à brouiller les codes en épousant en 1956 un Allemande, Rosemarie.

Se souvient-on encore de ces DC3, Super Constellation avec lesquels il fallait des dizaines d’escales avant d’atteindre l’Extrême orient ou l’Amérique du Sud. Ces longues nuits à se faire secouer dans le mauvais temps, la postale vers l’Afrique, c’était encore l’aventure. Les progrès sont tellement rapides: les Airbus arrivent, ils se pilotent avec un joystick

Et puis en 1976 il y a le détournement Entebbe. Parqué au fin fond de l’Afrique en Ouganda, lorsque les terroristes décident de libérer tous les passagers et l’équipage, pour ne conserver que les juifs, mon père décide avec son équipage de rester avec les otages.
Après une semaine, alors qu’une issue tragique semblait plus que probable, les commandos Israéliens vont réussir l’opération la plus incroyable de l’histoire militaire moderne en allant sauver tous les otages.

Vous comprendrez que depuis cette date, mon père, notre famille, ont une reconnaissance, le mot est sans doute faible, envers Israël, beaucoup de respect pour le sacrifice du Lieutenant Yonatan Netanyanu, tombé sous les balles, sans oublier Sorin Hershco qui restera paralysé à l’issu du raid, et que mon père considérera comme un fils.

En reprenant rapidement les commandes de son Airbus, il va se reconstruire dans la discrétion, œuvrant en dehors de ses vols pour faire progresser la sécurité aérienne.
Installé depuis près de 35 ans sur la Côte d’Azur il aura passé une retraite où sa famille occupait une place importante, chaque date anniversaire du 4 juillet était une occasion pour rendre hommage au courage des soldats de Tsahal.

Sur un plan plus personnel, il aura fallu sans doute attendre que nos tempes se mettent à grisonner pour commencer à comprendre que derrière cet humour, cette sévérité, cette exigence qui nous avaient accompagnés pendant nos jeunes années, étaient une marque d’amour, pour que comme lui nous ayons les valeurs qui nous permettraient d’affronter la vie.

Alors oui, cette vie singulière méritait largement ces quelques mots qui modestement traduisent, le respect, l’admiration et l’amour de toute notre famille.