© Jean Louis CHATELAIN - CDB Concorde - Septembre 2018
     
   
 

Automne 2001. Concorde a connu le drame un an auparavant ; Il tente d’en sortir.

Las, le monde entre dans la tourmente du terrorisme de masse. Les événements du 11 septembre bousculent le rapport au transport aérien. On blinde les portes des cockpits (il en résultera des effets indésirables et effrayants quelques années après, avec le crash des German Wings), et les hommes d’affaires Américains fuient le transport aérien régulier. Le petit aérodrome de Teterboro va se trouver saturé en business jets transatlantiques.

Rien de bon dans tout ça pour la reprise des vols de Concorde.

     
   
Et pourtant, techniquement, après des modifications importantes (« liner » dans les réservoirs, modifications des câblages électriques dans les logements de train, pneus Michelin NZG), après les essais en vol réalisés par Pierre Grange, pilote d’essais, président de l’APCOS, Concorde retrouve son certificat de navigabilité.

Concorde est prêt. Ses équipages et ses mécanos aussi.

Les vols reprennent le 7 novembre, chez les deux exploitants, British Airways et Air France.

Malgré quelques incitations commerciales, les remplissages ne sont pas bons.

Et c’est alors qu’un épouvantable accident survient tout juste 5 jours après la reprise des vols ! C’est un nouveau grand choc émotionnel pour les New-Yorkais, et pour le reste du monde : Juste après son décollage de JFK, l’Airbus A300-600 des American Airlines, en partance pour Santo Domingo, s’écrase sur Belle Harbor, dans le Queens. Le bilan est très lourd. 265 victimes (dont 5 au sol); La crainte du terrorisme est dans tous les esprits, mais l’enquête, après quelques semaines, établira que l’accident est dû à une mauvaise pratique de pilotage en turbulence, qui amena l’avion au-delà des limites structurales prévues lors de sa certification.

Toujours est-il que le côté extrêmement spectaculaire et émotionnel de cette série d’événements (accident du Concorde, attentats du 11 septembre, accident de Belle Harbor) fait que les passagers de la ligne Paris New-York sont affectés d’un rapport au risque devenu irrationnel.

Il reste quelques courageux passagers à emprunter l’avion. Ils ne sont pas sans me rappeler la hardiesse des premiers passagers de l’époque pionnière des années vingt et trente, au temps de l’Aéropostale, de la Franco-Roumaine, et des autres premières compagnies de transport aérien…

Parmi ces passagers, je veux vous parler d’Elie Wiesel, prix Nobel de la paix, survivant des camps d’extermination, un Francophone habitué du Concorde.
     
   
 
Monsieur Wiesel habitait Oslo, et il avait coutume de prendre, avec son épouse, le premier vol du matin à Oslo, ce qui lui permettait d’attraper le vol AF002 au départ de CDG, lequel était programmé pour un départ à 10 :30. Son voyage était exemplaire de la course avec le soleil que Concorde gagnait, puisque, partant au petit matin d’Oslo, il arrivait à 08:30 à l’aéroport JFK, tout en économisant la fatigue liée au temps de vol sur un avion subsonique.

Mon premier vol d’entraînement hors ligne avait eu lieu à Châteauroux, le 11 septembre 2001 ! Je vous promets, je n’invente rien : De retour à l’hôtel l’euphorie de ce premier vol a stoppé net quand nous avons vu à la télé et avec effroi les premières images des twins en train de s’écrouler. Les vols suivants furent néanmoins maintenus, et, malgré les événements, je me suis retrouvé avec un beau tampon attestant de ma qualification sur Concorde… Pas peu fier…
     
   
Et me voici en ce 14 novembre 2001 à faire mon premier vol d’adaptation en ligne. Mon instructeur, installé sur le siège de droite, est notre regretté Jean Rossignol, l’OMN étant Yannick Pluchon. Robert Vacchiani est également de l’équipage, en tant que safety pilot.

Je sacrifie pour la première fois au rituel des salutations au salon Concorde. Jean et moimême accompagnons le Chef de cabine Jean-Philippe Peyran, et nous rencontrons alors, et en particulier, Elie Wiesel et Madame.

Nous partons à l’heure, avec seulement 28 passagers, sur le Concorde FC, que l’on peut maintenant admirer au très beau musée Aéroscopia de Toulouse.

Alors que nous sommes en accélération supersonique au-dessus de la manche, le réacteur n° 2 nous lâche ! Le demi-tour vers Paris s’impose. Décélération en subsonique puis virage à gauche, retour sur CDG, vidange de 25 tonnes de carburant et atterrissage à masse augmentée à Roissy. Le Chef de cabine nous avait informés de l’inquiétude bien compréhensible de nos passagers, nous avions fait une annonce du cockpit pour tenter de les rassurer, et c’est tant mieux si l’atterrissage fut de bonne facture.

Nos passagers débarquent alors dans l’attente d’un nouveau départ sur l’avion de réserve (le mulet, selon notre jargon inspiré de la formule 1). Le changement fut rapide car la prévol du Concorde FB avait été entreprise par Roger Béral, dès lors que la division Concorde fut informée de notre « QRF » (demi-tour).

Deux passagers sont manquants sur notre nouveau départ, pour un vol qui fut sans histoire vers l’aéroport Kennedy.

Fin de l’acte 1 de ma relation professionnelle avec Elie Wiesel, que j’aurai l’honneur de transporter cinq fois en Concorde…

Acte 2 : Le 13 mars 2002, les passagers commencent à revenir sur nos lignes vers New York, et nous voici embarquant 70 passagers au départ de JFK… Visite au salon où, Marc Filou (CC) et moi-même saluons nos hôtes, dont Elie Wiesel et Thierry Mugler.

     
   
Nous partons avec 6 minutes d’avance et décollons le Concorde FA sur la piste 31 gauche avec sa spectaculaire procédure anti-bruit : Dès la commande de rentrée du train on part en virage à gauche pour éviter le survol d’un capteur de bruit… on se croirait dans la chasse !.

Mais, ce jour là, le train de rentre pas ! Il faut vite arrêter l’accélération pour ne pas dépasser la vitesse maxi train sorti… Un recyclage de la commande et une deuxième tentative s’avérant infructueuse, la décision s’impose : Retour sur JFK après vidange de 40 tonnes de carburant… Nous repartons vers Paris avec le SD juste arrivé de CDG (il n’y a plus, comme au début de la ligne, de Concorde de réserve à JFK). Nous avons plus de trois heures de retard à l’arrivée et Monsieur Wiesel loupe sa correspondance sur Oslo…
 
     
   

Il y a, vous l’aurez deviné, un acte 3 ! Il est assez anodin, nous ferons demi-tour au sol à JFK, sur une panne d’équipement, vite remplacé par nos ingénieurs de Mach2 maintenance.

J’aurai quand même le temps d’aller donner quelques explications au salon Concorde. Face à Mr Wiesel, qui ne peut que me soupçonner de lui porter la poisse, je me crois obligé de lui dire que la prochaine fois qu’il verra mon nom au départ de son vol Concorde, je ne lui en voudrai pas s’il décide de reporter son départ ! Ce à quoi il a cette réplique instantanée :

    «Commandant, je ne veux plus voler qu’avec vous !»
   

Ce propos plein de malice et de finesse porte pour le moins la confiance qu’avaient nos « frequent flyers » Concorde dans l’avion, dans ses équipages, dans la compagnie Air France.

Cette petite histoire de la grande histoire du Concorde est aussi révélatrice de la relation très particulière que les équipages Concorde entretenaient avec leurs passagers, relation empreinte de la complicité et du bonheur de faire partie des « happy few » du transport supersonique, tout comme nos pionniers avaient entretenu cette relation privilégiée avec les premiers passagers aériens.

     
    By then I knew that everything good and bad left an emptiness when it stopped”
Ernest HEMINGWAY in “a moveable feast”
 
   
 
     
  LIENS RECOMMANDÉS  
   
 
  ©LACROIXDUSUD-WEBEUGENE.NET 2018 - SITE RÉALISÉ PAR EUGÈNE GONTHIER - @WEBEUGENE.NET