© Jean Louis CHATELAIN
     
     
J   Jet streams (Courants jets)
   

Le 1er Décembre 1978, à l’approche du solstice d’hiver, période favorable aux météos extrêmes sur l’Atlantique Nord, je me trouvais comme copilote sur le vol New York (JFK) Paris (CDG). L’avion était un Boeing 747, immatriculé N40116. Le commandant Gomez m’avait confié les commandes pour ce vol retour vers notre base. Nous survolions, de nuit, l’île de Nantucket et, tout émoustillé, je voyais notre vitesse par rapport au sol, mesurée par nos centrales de navigation inertielle, augmenter de manière spectaculaire. Nous venions de dépasser 650 nœuds (un nœud, en abréviation kt, est une unité de vitesse héritée de la marine et est égal à 1852 mètres par heure. Notre vitesse était donc de325 mètres à la seconde, soit environ 1200 km/h. Le mécanicien navigant Cobut (il y avait encore des mécaniciens navigants sur ces jets de deuxième génération), était à deux vols de son départ en retraite. Il me dit : « petit, moi j’ai vu une fois une vitesse sol de 700 kt, tu n’es pas près de voir ça ! ». Evidemment, quand on conjure le sort, celui-ci revient comme un boomerang, et quelques minutes plus tard nous atteignions les 700 kt et quelques dizaines de minutes plus tard, alors que nous survolions Terre Neuve, notre vitesse sol atteint son maximum de 725 kt !!! (360 m/s, 1342 km/h). Nous subissions, tout à notre avantage, un courant jet arrière de 235 kt, c’est-à-dire 435 km/h. C’était évidemment exceptionnel, et à l’époque le modèle de vent n’avait pas la précision remarquable de celui d’aujourd’hui, et nous avons prévenu par radio notre compagnie pour les aviser de notre arrivée prévisionnelle très en avance sur l’horaire ; De fait nous avons arrêté les moteurs avec 50 minutes d’avance à Roissy !

De fait, nous étions toujours en régime de vol subsonique dans notre masse d’air (Mach .84, soit 84% de la vitesse du son), mais cette masse d’air se déplaçait tellement vite, sous l’effet de ce « Jet Stream », ou « courant jet » en bon Français, que nous avions une vitesse par rapport au sol comparable à celle qu’aurait un avion supersonique en l’absence de vent. Quelques années plus tard j’aurai le bonheur de voler sur Concorde et d’atteindre mon record personnel de vitesse de 1250 kt (625 m/s, plus de 6 stades de football par seconde!) sans rien devoir à un quelconque courant jet, ces courants n’atteignant pas les altitudes de vol du Concorde.

La découverte des courants Jets est due au plus complet des hasards lors la seconde guerre mondiale. Les américains, soucieux de tester leur nouvel outil d’aviation, se décident à larguer leurs bombes depuis l’altitude de 8 kilomètres. Cependant, ils s’aperçoivent que leur artillerie est incapable de cibler correctement leur cible. Une analyse de leur position leur indique alors que leur vitesse est de 230 km/h plus rapide que la normale. Ils concluent donc à l’existence d’un courant atmosphérique de grande vitesse dans la zone inférieure à la tropopause. Ces courants seront par la suite généralisés par les scientifiques japonais qui démontrent leur existence par l’envol de ballons sondes à ces altitudes. L’arrivée de ces ballons sondes sur la côte américaine apporte une preuve de l’existence de ces courants (leurs vitesses ont été déterminées par triangulation grâce à un théodolite).

Les études postérieures permettent de cerner totalement ces courants d’altitude. Appelés « Courants Jets », ces courants dont la trajectoire forme une spirale à la surface de la Terre peuvent aller de 110 à 300 km/h. Un courant jet part de l’Afrique du Nord, se poursuit au travers de l’Asie par l’Himalaya, traverse les Etats Unis et finit sa course en Europe de l’Ouest. Il en existe deux, un dans l’hémisphère Nord, et l’autre dans l’hémisphère Sud.

     
   
   

En 1947, un avion de passagers avec 10 personnes à son bord décolle du Brésil et part vers l’Ouest en survolant les Andes. Il n’arrivera jamais à bon port, et ses débris ne seront pas retrouvés avant l’an 2000. Cet étrange phénomène, dont la cause fut tout d’abord attribuée à un nouveau tour du Triangle des Bermudes, a été expliqué récemment, suite à la découverte des débris et le phénomène des courants Jets.

Une fois arrivé à l’altitude de 8 à 9 km afin d’éviter des conditions météorologique mauvaises, l’avion se trouve alors en plein courant Jet. Ce phénomène étant à l’époque inconnu, le pilote pensait sa vitesse nettement supérieure à ce qu’elle était réellement. Il amorce donc sa descente, croyant avoir largement dépassé la Cordillère des Andes. En manque de visibilité, il se rend compte trop tard de son erreur, et plonge fatalement vers la chaîne de montagne. L’événement créant une avalanche, ses débris furent dissimulés sous la glace et la neige durant plus de 50 ans.

Les courants Jets sont le siège de forces colossales au sein de la circulation atmosphérique dont l’importance n’est surement pas encore considérée à sa juste valeur. A leur marge, du fait des frottements entre masses d’air, ils sont souvent associés à des turbulences en ciel clair, pour lesquels aujourd’hui encore, et malgré les progrès technologiques, les pilotes n’ont toujours pas d’outil embarqué permettant de les identifier, les localiser et anticiper leurs conséquences souvent dommageables pour les passagers et l’équipage de cabine.

Sur l’Atlantique Nord, particulièrement exposé à ces turbulences en ciel clair (CAT, Clear Air Turbulence), les pilotes communiquent entre eux sur une fréquence VHF commune pour se transmettre les informations sur les zones où ils subissent ces turbulences.

     
   

L   Lindbergh
   
Dans la soirée du 21 mai 1927 la foule des Parisiens se précipite à l’aéroport du Bourget (ils sont plus de cent cinquante mille !). On vient de confirmer le survol de Cherbourg.

A dix heures vingt quatre, de nuit, un monomoteur Ryan à ailes hautes, le «Spirit of Saint‑Louis» se pose et entame un roulage au sol, éclairé par quelques projecteurs.
     
   
   
Il vient de franchir sans escale l’Atlantique Nord en trente trois heures trente minutes et trente secondes.

C’est un exploit physique et moral: Lindbergh est resté plus de quarante huit heures sans dormir (il n’a pu trouver le sommeil avant le départ, et il a connu les hallucinations à trop lutter contre le sommeil). Il a joué sa vie face aux intempéries et aux nombreuses difficultés. A entreprendre cette traversée en monomoteur, et, faut-il le rappeler, sans l’assistance d’un pilote automatique, il s’est surtout exposé au risque fatal de la panne.

Il est permis de penser qu’à l’instant de l’atterrissage tout va changer, pour le pilote comme pour la planète terre.

Le pilote a relevé le défi du prix Raymond ORTEIG, philanthrope Français nationalisé Américain, doté de 25000 $. Ce prix, lancé en 1919, promettait de récompenser le premier pilote qui réaliserait un vol transatlantique sans escale entre New York et Paris.

De nombreux autres ont échoué avant lui, en équipage, et avec des machines plus lourdes. Lui, il réussit en solo, avec une machine simple, légère, sur la fiabilité de laquelle il a travaillé avec le constructeur.

Il démontre que la traversée de l’Atlantique Nord sans escale est possible. En passant, il fait pencher la balance sur les mérites respectifs de l’hydravion et de l’avion, en faveur de ce dernier.
     
   
    La foule en délire s’approche dangereusement de l’hélice (Photo ©Safara)
     
   

La foule en délire s’approche dangereusement de l’hélice et, sagement, le moteur est coupé. Descend alors de l’avion un très grand et très jeune homme, un peu dégingandé, dont les yeux cernés laissent percer un regard lointain et timide à la fois.

Un héros est né.

En cette année le cinéma vient de marier le son à l’image, et la geste de Lindbergh va être diffusée mondialement sur les écrans. Charles Augustus Lindbergh en est une de ses premières stars. Hélas il sera aussi un des premiers à connaître cette espèce de châtiment que le monde moderne inflige à ses célébrités : La traque par ceux que l’on appellera plus tard les paparazzi, et plus dramatiquement, le rapt d’enfant.

Lindbergh est né à Détroit le 4 février 1902 d’un couple mal assorti. Son père, d’origine suédoise, juriste, sera représentant au congrès des Etats‑Unis (député), de tendance de gauche. Sa mère, beaucoup plus jeune que son époux, professeur de sciences, se séparera de celui‑ci.

Cette situation familiale du jeune Lindbergh, l’atavisme Suédois, et la rigueur du climat de Little Falls, berceau de son enfance dans le Minnesota, peuvent expliquer cette personnalité volontaire, solitaire, et réservée.

Après un médiocre début d’études d’ingénieur, et malgré des dons pour la mécanique et un esprit inventif, il abandonne celles‑ci. Il devient élève pilote dans une école privée du Nebraska. Il fait son premier vol, comme passager, à l’âge de vingt ans. L’année suivante, avec l’aide de son père, il emprunte 900 $ et achète un avion des surplus de la première guerre mondiale. C’est un Curtiss "Jenny", délabré, à moteur de 90 cv, capable d’une vitesse de croisière de seulement cent dix kilomètres à l’heure !

Il fera avec cet avion une tournée de barnstormers.

En 1924, souhaitant pouvoir voler sur des machines très performantes, il s’engage dans l’armée de l’air (comme « Army flying cadet ») et connaît alors un début de révélation. Il termine sa formation de pilote brillamment et en mars 1925 il sort premier au classement de l’U.S. Advanced Flying School, Kelly Field, San Antonio. Il n’y a pas d’embauche et il n’a d’autre choix que de quitter l’armée comme sous‑lieutenant de réserve.

En 1925 il va faire partie des pionniers du courrier postal aux USA. Il devient chef pilote de Robertson Aircraft Corporation, entreprise qui vient de se voir attribuer le deuxième contrat gouvernemental de transport du courrier (CAM-2, Contract Air Mail numéro 2, route entre Chicago et Saint-Louis). Les conditions sont extrêmement difficiles : Rigueur du climat, vols de nuit, pannes de moteurs. De nombreux pilotes y laissent leur vie. Lindbergh sauvera la sienne par deux fois en sautant en parachute, dont une fois de nuit. Cette nuit là il se trouve à court de carburant car on lui a remplacé son réservoir de 110 gallons par un de 80 sans le lui dire !. Il en est alors à sa troisième évacuation d’urgence en parachute , laquelle sera suivie, six semaines plus tard, d’une quatrième évacuation, un record !

Après l’atterrissage au Bourget, la vie de Lindbergh entre dans un tourbillon. Une tournée en Europe, et surtout une autre aux Etats-Unis, lui procureront triomphe, au sens romain, et la fortune.

Il se fera défricheur de lignes aériennes pour Pan Am (alors sous la férule du mythique Juan Trippe) et de Transcontinental Air Transport (…future TWA dont le patron sera le non moins mythique Howard Hughes). Lors d’une escale à Mexico il y rencontrera sa future épouse, Ann Morrow, fille d’un banquier ambassadeur des Etats-Unis au Mexique. Il lui apprendra à piloter (elle sera la première américaine à obtenir un brevet de pilote de planeur). Il lui apprendra à naviguer et à faire le métier de radio et ensemble ils feront un raid autour du monde. A leur retour ils connaîtront les affres du rapt crapuleux dont s’ensuivit la mort de leur premier enfant.

Il s’intéressera au progrès de la science et collaborera aux travaux d’un très grand médecin Français, le professeur Lyonnais Alexis Carrel, prix Nobel de médecine, dont il deviendra l’ami. Il fera la promotion des premiers travaux de l’américain Goddard sur les fusées .

La famille Lindbergh est harcelée par les media, et Lindbergh choisit alors la voie de l’exil, pour lui et sa famille : En Angleterre dans un premier temps, puis sur l’île Bretonne d’Illiec, sur les côtes d’Armor, qu’il achète et qui le rapproche d’Alexis Carrel.

De même que Mermoz s’est engagé dans le mouvement « les croix de feu »du Colonel de La Roque, et de manière comparable à celle de Saint Ex qui refusa de rejoindre les gaullistes, Lindbergh, en conflit ouvert avec l’administration Roosevelt, a milité pour le mouvement « America first » qui s’opposait à l’entrée des Etats‑Unis dans le conflit mondial.

Il avait auparavant fait une tournée officielle au Reich Hitlérien. Le Maréchal Goering le reçut et le décora de l’aigle Allemand. Lindbergh fut à juste titre impressionné par le niveau de développement de l’aviation Allemande. Ignorant, comme il est permis de penser, la logique exterminatrice du régime Hitlérien, il était persuadé que le Reich était un rempart contre le communisme et le spectre de son développement. Il s’égarera dans des écrits mettant en cause la communauté juive américaine.

Le président Roosevelt mettra en cause publiquement sa loyauté et il connaîtra alors la condition de proscrit. L’idole est déchue. Lindbergh démissionne de son poste de Colonel de réserve dans l’Air Corps (future US Air Force). Au lendemain de l’attaque Japonaise sur Pearl Harbour, il offre de réintégrer l’armée pour participer aux combats, mais cette réintégration lui est refusée. Il perd la plupart de ses postes de conseiller, sauf celui d’Henry Ford lequel lui garde sa confiance comme consultant pour la production du premier bombardier Ford.

Pour autant il fera une très belle guerre dans le Pacifique après que l’US Navy l’aura enrôlé comme conseiller technique civil, en cachette de l’administration Roosevelt. Il ira au feu et le civil Lindbergh apportera sa contribution déterminante pour la réalisation des longs raids, par l’enseignement aux pilotes de l’Air Corps d’une meilleure conduite des moteurs du P38 Lightning (l’avion du dernier vol de Saint Ex).

Grand déçu par l’évolution qu’a connu l’aviation, il s’inquiètera alors des changements du monde et des conséquences non maîtrisées du développement. Il militera jusqu’à la fin de ses jours pour la préservation de la planète.

Cette vision du monde, particulière aux aviateurs, que leur inspire cette vue de là-haut, empreinte d’un mélange de naïveté et de foi en l’homme, comme d’autres pilotes, Lindbergh la mettra par écrit sur une tonalité moralisatrice : «Autobiography of values», qui fut publiée de manière posthume.

Il y donne sa première perception de la vie de pilote :
«La vie d’un aviateur me semblait idéale. Elle impliquait du savoir-faire. Elle apportait l’aventure. Elle empruntait à la science ses développements les plus récents. Alors que les ingénieurs étaient comme enchaînés dans les usines à y dessiner des plans, les pilotes goûtaient la liberté du vent à la découverte du ciel. Il se trouvait des instants dans un aéroplane où j’avais l’impression d’avoir échappé à la mortalité à regarder d’en haut la terre comme le ferait un dieu»

- Traduction de l'auteur
Les changements du monde et l’évolution de l’aviation transformeront le regard qu’il porte sur celle‑ci. Dans une lettre à son épouse, il exprime sa déception : « Je ne peux m’habituer à la facilité avec laquelle on parcours le monde aujourd’hui. Il n’y a plus d’effort à fournir. Pour ce qui est du pôle, de l’équateur, des océans, des continents, il ne s’agit plus que de savoir dans quelle direction pointer le nez de ton avion. La joie pure du vol en tant qu’art a fait place à l’efficacité froide du vol en tant que science…. Et cette science isole l’homme de la vie, détachant son esprit de ses sens Le pire est qu’elle ne tardera pas à anesthésier ses sens au point qu’il ne sache plus ce qu’il manque».

A soixante douze ans, il meurt d’un cancer, en reclus fortuné, sur une île du Pacifique, où il est enterré.

     
   
     
    Les dernières années de sa vie furent consacrées à la protection de l’environnement
et à apprécier la quiétude de son coin de paradis sur l’île de Maui.
(Cimetière de Palapala Ho’omau et sépulture de Lindbergh)
     
     
 
     
   
 
 
 
 
     
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